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À quand la mémoire éternelle ?

ADN, saphirs et cristaux concurrencent le silicium comme supports durables de notre mémoire numérique.

En 2020, l’humanité devrait générer 40 zettaoctets (un trilliard d’octets) de données par an, soit plus de 5 200 gigaoctets de données par personne sur Terre. Plus concrètement, c’est l’équivalent d’1 million de photographies ou de 1 500 films en HD produit par personne. Si les capacités de stockage des disques durs et mémoires flash connaissent une croissance exponentielle, elles affichent cependant une limite : leur temps de vie dérisoire, 5 à 10 ans tout au plus. La conservation de notre  patrimoine numérique est dors et déjà engagée dans une course contre la montre… au final, nos données pourront-elles résister à l’épreuve du temps ?

 

Capacité de stockage VS. durée de vie

Aujourd’hui des instituts comme la BNF ou l’INA, qui abritent une quantité phénoménales d’archives numériques et audiovisuelles sont condamnés à recopier ad vitam eternam leurs données sur des supports neufs sous peine de les voir disparaître. Un procédé logistiquement complexe et très coûteux. Si le CD et le DVD offrent des durées de vie supérieure aux disques de silicium, de l’ordre de 10 à 30 ans, ils restent extrêmement fragiles et se dégradent même s’ils ne sont pas utilisés. Pour l’instant, aucun support de stockage grand public ne peut assurer la sauvegarde pérenne de nos tribulations numériques ou des archives de nos institutions ; mais de nouvelles solutions pointent à l’horizon.

 

World Arctic Archive : la mémoire à l’abri du froid

Pour prévenir la disparition de notre patrimoine numérique, la Norvège a édifié un véritable coffre fort sur une île glacée de l’archipel de Svalbard situé à environ 1 000 km du Pôle Nord. Localisé dans une ancienne mine de charbon, le site accueille déjà le Global Seed Vault, une arche de Noé qui abrite quelques 864 000 échantillons de graines des principales espèces végétales liées à l’alimentation humaine. Une banque du vivant destinée à conserver les ressources alimentaires en prévision du pire. Surnommé le “bunker de l’apocalypse”, le Global Seed Vault s’est enrichi en mars 2017 d’une nouvelle entité à la vocation tout aussi louable. Le World Arctic Archive s’est en effet donné pour mission de proposer à des pays, des institutions, des entreprises ou des particuliers d’archiver et de conserver des données à forte valeur symbolique ou culturelles. Ainsi le Brésil a récemment confié la sauvegarde de nombreux documents historiques, dont sa constitution, à l’instar du Mexique qui a lui fourni des écrits remontant à la période Inca. Ces données pourront être préservées pendant 500 à 1000 ans. C’est en tous cas ce qu’annonce la société Piql en charge de la gestion de ces précieux fragments d’histoire. Une fois recueillies, les données sont transférées sur des pellicules analogiques photosensibles. Un procédé qui offre une certaine pérennité dans des conditions de conservation optimum mais qui semble peu à même d’offrir une solution globale à l’avalanche de données produites en continu par l’homo numericus.

L’imposant tunnel d’accès au centre souterrain abritant le Global Seed Vault et l’Arctic World Archive, sur l’archipel norvégien de Svalbard.
Crédits – AP

De 1000 à 2000 ans, en changeant de support

500 à 1000 ans, une simple respiration dans l’histoire de l’humanité. D’autres tentatives sont menées pour prolonger la durée de vie de nos mémoires numériques. La société Arnano a développé un procédé de gravure de données à l’échelle microscopique sur un disque de saphir qui pourrait permettre d’atteindre les 2000 ans. Un matériau rare, capable de résister à une température de 1700°C, ne pouvant être altéré par aucun produit chimique, et qui de ce fait pourrait être destiné à conserver des données sensibles. L’Andra ne s’y est pas trompée puisque l’agence a acquis trois de ces disques afin de s’assurer que les générations futures seront informées de l’existence et du caractère sensible des centres de stockage des déchets radioactifs comme le projet de Bure.

Une gravure, durable et ô combien utile, mais exorbitante… car il faut compter 25 000 euros pour chaque disque de saphir…

L’Andra utilise des disques de saphir « indestructibles » pour conserver la mémoire de l’emplacement des sites de stockage des déchets radioactifs.

ADN, mémoire du futur

Pour un nombre grandissant de chercheurs et d’industriels, la solution d’avenir résiderait dans la molécule d’ADN. Bénéficiant de plusieurs millions d’années d’évolution, l’acide désoxyribonucléique, réceptacle du génome de tous les êtres vivants, est à notre connaissance le système de stockage d’information le plus performant créé par Dame Nature. Sa densité de stockage est mille fois plus élevée que celle de la mémoire flash, et un million de fois plus que celle d’un disque dur. Il pourrait s’avérer un support de mémoire imbattable. Mais son plus grand atout en tant que potentiel support mémoriel est d’être capable de résister à l’outrage du temps. Selon une étude réalisée à l’école polytechnique de Zurich, des données encodées sur un brin d’ADN peuvent être conservées 2000 ans à une température de 10° celsius… et jusqu’à 2 millions d’années à – 18° !

 

Newton enregistré sur un cristal immortel

La Bible stockée sur un Superman Memory Crystal — littéralement — pour les siècles des siècles.
Credits – Kazansky Lab

Dans cette course à l’éternité, la palme revient pour le moment à un groupe de chercheurs de l’université de Southampton qui ont déclaré avoir inventé un procédé permettant de conserver les données pendant 13,8 milliards d’années… soit l’âge de l’Univers. Sous le nom un brin pompeux de “Superman memory crystal”, ce système permettrait de stocker environ 360 To (terabytes) de données sur un disque de quartz de la taille d’une pièce de monnaie. Premiers bénéficiaires emblématiques de ce support, Isaac Newton et son Traité d’optique, la Sainte Bible, ou encore la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Si ces solutions promettent l’éternité au patrimoine immatériel de l’humanité, aucune d’entre elles ne devraient être accessibles au commun de mortels avant une dizaine d’années. En attendant, gravons nos souvenirs dans le marbre et multiplions les back ups

 

 

Usbek & Rica est le média qui explore le futur. Leurs jeunes journalistes y abordent des sujets qui engagent les sociétés d'aujourd'hui vis-à-vis de celles de demain. Avec leur plume, ils vous proposent un autre point de vue sur la question des déchets radioactifs.