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Collapsologie : quelle place pour Cigéo dans un monde effondré ?

Réponse avec Camille Legrand de la chaîne Youtube « Après l’Effondrement ». Interview.

Logo de la chaîne « Après l’Effondrement »

La gestion des déchets radioactifs implique forcément, au regard de leur durée de vie, de prendre en compte un horizon temporel long, de s’interroger sur le futur. 

Mais comment prévoir un futur aussi lointain ? Comment imaginer à quoi ressemblera notre société ? Dans l’exercice prospectif de l’évaluation socio-économique de Cigéo, plusieurs scénarios d’évolution de la société ont été envisagés, L’un d’eux se projette d’ailleurs dans une société dégradée, c’est-à-dire avec une croissance économique bien inférieure à celle que nous connaissons aujourd’hui dans laquelle les institutions progressivement fragilisées ne permettent plus, à terme, de préserver les normes de sécurité́ et de sûreté des installations de stockage.

Les théories sur l’effondrement de notre société, aussi appelées collapsologie, font l’objet de plus en plus d’attention ces dernières années, en particulier en lien avec la crise climatique. L’Andra a proposé au Youtubeur fondateur de la chaîne Après l’Effondrement, une chaîne dédiée à ce sujet, de visiter le Laboratoire souterrain de l’Agence dédié à la recherche sur le projet Cigéo.

 

Camille, parlez-nous de votre chaîne Youtube Après l’Effondrement. Pourquoi l’avoir créée ?

J’ai créé la chaîne Après l’Effondrement il y a trois ans avec un collègue graphiste. L’objectif était de s’intéresser à quelque chose qui se faisait encore peu dans le milieu de la collapsologie, c’est-à-dire proposer une vision de ce à quoi ressemble une société qui s’effondre et comment elle peut s’en remettre. En bref, donner une image prospective des alternatives à notre mode de vie. Nous ne traitons pas en soi l'effondrement sur le moment présent, mais plus les conséquences sur le long terme qu'il peut provoquer s'il survenait. 

En effet, il nous semblait important de questionner « l’après effondrement » dans la mesure où les visions, plus ou moins négatives, peuvent énormément diverger, en fonction du type de culture par exemple. Nous nous sommes ainsi donné comme mission de fournir une porte d’entrée aux personnes qui essayent de se projeter sur les contraintes et les conséquences d’un effondrement. 

Expliquez-nous le concept de collapsologie ?

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La collapsologie est une proposition de thématique de recherche formulée dans les années 2010 qui envisage les risques d'un effondrement de la civilisation industrielle et ses conséquences. 

En France, l’étude d’un potentiel effondrement de notre société est introduite par l’Institut Momentum, co-fondé par Yves Cochet et Agnès Sinaï. Il s’agit selon eux d’un « processus irréversible à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Puis, c’est Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui le porteront à l’attention du grand public.

Cette thématique de recherche se base sur le postulat selon lequel on a tendance à concevoir l'avenir sous le prisme de l’économie, du climat, de la biodiversité, du social… en imaginant des scénarios négatifs qui ne se prennent pas forcément en compte mutuellement alors qu’ils pourraient s'auto alimenter. La proposition était donc de réunir ces sujets sous une thématique de recherche permettant de nourrir la mesure des risques d’effondrement, de percevoir des faisceaux d’indice, etc.

Vous avez été invité à visiter le Laboratoire souterrain de l’Andra. Qu’avez-vous pensé de cette expérience ? Quel lien peut se tisser entre le projet Cigéo et la collapsologie selon vous ?

Laboratoire souterrain de l'Andra

Je souhaitais visiter le site depuis quelque temps et j’ai été agréablement surpris de découvrir ce véritable laboratoire scientifique. Les nombreuses galeries creusées permettent de tester différents types de bétons, de captages, la mobilité des sols etc., pour assurer le fait que, s’il venait à se concrétiser, ce projet serait réalisé dans les meilleures conditions possibles. 

Le sujet m’intéresse également dans la mesure où Cigéo est l’un des rares projets industriels et humains qui tentent de se projeter sur un temps très long et qui intègrent la notion de non pérennité de nos sociétés. Ils prennent à ce titre en compte le fait qu’il n’y a pas de règles qui assurent à nos civilisations qu’elles sont pérennes, qu’elles dureront éternellement, et même au contraire, les exemples historiques montrent qu’elles ont plutôt tendance à évoluer rapidement, soit à transitionner, soit à s’effondrer. Et c’est important de le prendre en compte dans des projets comme Cigéo, que l’on soit pour ou contre.

Ensuite, Cigéo et le sujet de la collapsologie sont liés puisque la problématique de la gestion de certains déchets radioactifs s’étend sur un temps particulièrement long, des centaines de milliers d’années, et l’histoire nous a d’ores-et-déjà démontré que nos civilisations ne sont pas faites pour survivre aussi longtemps. Il est donc indispensable de prendre en compte ce type d’éventualité comme l’a fait Cigéo dans son évaluation socio-économique.

Alors, d’après vous, à quoi ressemblerait Cigéo dans un monde effondré ?

Dans le cas où notre civilisation viendrait à s’effondrer, je pense que la problématique des déchets radioactifs serait moindre par rapport aux conséquences d’un tel événement. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut laisser de côté cette éventualité. Et c’est pour cela qu’il est important d’être en mesure de se positionner et de concrétiser dès maintenant des solutions de gestion pérennes des déchets radioactifs. Dans le cas contraire, ces déchets constitueraient une menace certaine dans un monde post-effondrement.

Avec Cigéo, une fois le stockage fermé, il ne nécessitera plus d’intervention humaine et pourrait finir à long terme par être potentiellement oublié, sortir des mémoires. Les préoccupations seraient ailleurs dans une société qui s’effondre et qui doit faire face à de multiples autres problèmes. C’est pour cela, qu’à mon sens, Cigéo constitue une solution viable de gestion des déchets radioactifs dans un tel contexte. 

 

Retrouvez toutes les vidéos de Camille Legrand, de la chaîne Après l’Effondrement, sur Youtube et Twitter