ComptonCAM, une caméra haute sensibilité pour détecter la radioactivité
Démanteler une installation nucléaire nécessite de localiser et d’identifier les éléments radioactifs, notamment pour la définition des modalités de la décontamination et une gestion optimale des déchets. La précision de la caractérisation de la radioactivité est donc un enjeu important. C’est l’objet du projet ComptonCAM – accompagné par l’Andra et soutenu par le programme Investissements d’avenir. À la clé : une gamma-caméra portative particulièrement sensible et performante. Une technologie qui intéresse aussi l'astronomie et l'imagerie médicale.
Les gamma-caméras portatives sont précieuses dans le cadre des interventions de maintenance ou de démantèlement des installations nucléaires. Elles détectent les rayonnements ionisants gamma émis par les éléments radioactifs et permettent de les rendre visibles, facilitant ainsi leur localisation. Cette étape est nécessaire en vue de la caractérisation et la prise en charge des déchets radioactifs selon les filières de gestion adéquates. « Ces caméras existent depuis plusieurs années, mais leur sensibilité est trop faible pour identifier rapidement les contaminations de très faible activité, qui représentent pourtant l'essentiel des déchets radioactifs lors d'un démantèlement », explique Vincent Tatischeff, directeur de recherche en physique, spécialiste de l'astronomie gamma et de l'étude du rayonnement cosmique au Laboratoire de physique des 2 infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab), unité de recherche du CNRS, de l'Université Paris Saclay et de l'Université Paris Cité.
Des missions spatiales au démantèlement des sites nucléaires
Le laboratoire de Vincent Tatischeff travaille depuis plusieurs années sur la mise au point de télescopes gamma ultrasensibles dans le cadre des missions spatiales. En 2017, il a l'idée d’adapter cette technologie et de poursuivre ses recherches dans le domaine du nucléaire. Le projet ComptonCAM voit le jour après avoir été sélectionné lors d’un appel à projets mené par l’Andra et l’Agence nationale de la recherche (ANR) (voir encadré).
Ce projet, coordonné par le CNRS, associe le laboratoire IJCLab et deux PME, SYSTEL Électronique SAS et Theoris SAS. Son objectif ? Mettre au point un prototype pré-industriel de gamma-caméra portative ultrasensible utilisable pour la décontamination des installations nucléaires ou le contrôle des déchets radioactifs lors de leurs déplacements. Ce prototype utilise l'effet Compton découvert en 1923 par le Prix Nobel de physique Arthur Compton, qui met en lumière les interactions entre la matière et le rayonnement électromagnétique.
Un gain de temps substantiel
« Utiliser l'effet Compton pour une caméra n'est pas une nouveauté, car il existe déjà sur le marché quelques caméras de ce type. Ce qui l’est, en revanche, c’est l'agencement de détecteurs innovants optimisés pour l'imagerie gamma par effet Compton », note Vincent Tatischeff. La caméra intègre en effet des détecteurs silicium à pistes lus par une électronique intégrée à très bas bruit et de nouveaux capteurs à scintillation associés à un réseau de neurones artificiels.
Cette innovation se traduit par plusieurs gains décisifs. Tout d'abord, une extrême sensibilité de la caméra, qui peut caractériser en quelques minutes les déchets radioactifs de très faible activité et les distinguer de la radioactivité naturelle. « Nous sommes dans un rapport de 1 à 6 : ce qui prenait une heure prend désormais dix minutes. C'est précieux du point de vue des coûts, mais aussi pour limiter l’exposition potentielle des opérateurs à ces rayons », précise Vincent Tatischeff.
Décontaminer « au plus juste »
La ComptonCAM offre un champ de vision très large, proche du regard humain : une seule prise de vue permet de caractériser une partie substantielle de la zone à analyser. Elle présente aussi une résolution angulaire optimisée et une très bonne réponse à haute énergie. Une qualité notamment requise pour détecter rapidement la radioactivité du cobalt-60, un radionucléide présent dans certains déchets radioactifs. Autant de caractéristiques qui permettent « une meilleure maîtrise du processus de décontamination et la gestion de ces déchets », complète Vincent Tatischeff.
Après un premier prototype de ComptonCAM mis au point en laboratoire, l'équipe de Vincent Tatischeff en développe un deuxième, plus léger. Il sera testé au Centre de stockage de l'Aube de l’Andra. « Ces tests devraient se dérouler avant l'été pour caractériser un ensemble de colis de déchets radioactifs avant leur stockage », explique Denise Ricard, ingénieure matériaux chargée du suivi technique de ce projet à l'Andra.
Les résultats de ces tests seront décisifs pour la poursuite du projet vers l'industrialisation et la commercialisation de la gamma-caméra. D’autres secteurs que le nucléaire pourraient s'y intéresser, comme celui de l'imagerie médicale ou l'astronomie… Le laboratoire de Vincent Tatischeff travaille en effet à des nanosatellites équipés de gamma-caméras très proches de la ComptonCAM. Celles-ci pourraient nous envoyer des images d'explosions d'étoiles ou d'autres activités émettrices de rayons gamma.
29 projets innovants pour la gestion des déchets de démantèlement
L’appel à projets lancé par l’Andra et l’ANR avec le soutien du programme Investissements d’avenir a pour but de faire émerger des solutions innovantes pour optimiser, en amont du stockage, la gestion des déchets radioactifs, en particulier ceux issus du démantèlement des installations nucléaires. 29 projets sont soutenus dans ce cadre. Ils portent sur quatre thématiques : la caractérisation des déchets, leur tri et leur traitement, les nouveaux matériaux de conditionnement, et enfin un volet sciences sociales sur l’innovation et la société.