Conserver et transmettre la mémoire
Même si les centres de stockage de déchets radioactifs sont conçus pour être sûrs de manière passive une fois fermés et donc ne nécessiter aucune intervention de la part des générations futures, des actions sont engagées afin de transmettre et conserver la mémoire de ces centres pour les quelques siècles à venir. Au-delà ? Des réflexions sont en cours pour imaginer des solutions permettant de transmettre ces informations sur de plus longues périodes...
Se souvenir pendant des siècles
Afin d'informer les générations futures de l'existence des centres de stockage et de ce qu'ils contiennent, des dispositifs sont mis en place dès aujourd'hui pour conserver leur mémoire.
Pourquoi ?
Personne ne peut prévoir si les organismes aujourd'hui responsables des centres de stockage de déchets radioactifs existeront encore dans plusieurs siècles. Des dispositifs sont alors mis en place pour que la mémoire de ces centres perdure aussi longtemps que possible, et ce malgré d'éventuelles ruptures sociales ou politiques. Objectifs :
- Informer les générations à venir sur l'existence et le contenu des centres de stockage pour notamment éviter le risque d'intrusion ;
- Faciliter la compréhension d'éventuels phénomènes observés autour de ces centres et leur permettre de prendre des décisions dans des conditions optimales ;
- Leur permettre de prendre des décisions, en toute connaissance de cause, concernant le devenir des sites sur lesquels se trouvent les centres.
La conservation de la mémoire : une règle de sûreté
La règle de sûreté de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) du 1er juin 1991 prévoit « la conservation de la mémoire du stockage, permettant de rendre extrêmement peu probable l'intrusion humaine dans la zone du stockage ».
Pour les stockages de surface, l’ASN prescrit 300 ans minimum après fermeture.
Pour le stockage profond (le projet Cigéo), dans une logique prudente, l’ASN considère qu’une perte de mémoire ne peut être exclue « raisonnablement au-delà de 500 ans… » (…après fermeture…). Mais concernant ce type de stockage, sa sûreté ne repose pas sur le fait que sa mémoire soit conservée.
Mémoire de quoi ?
L'objectif aujourd'hui est de faire en sorte que les générations à venir soient informées de l'existence des centres de stockage et de leur contenu. Il faut pour cela retracer les étapes les plus importantes de la vie de chaque centre et regrouper les informations essentielles les concernant (contenu, dimensions, caractéristiques des déchets stockés...). C'est chaque génération qui aura la responsabilité de contribuer à transmettre cette mémoire aux générations suivantes.
Comment assurer la conservation et la transmission des informations ?

Les nouvelles technologies de l'information évoluent très vite, certaines solutions deviennent obsolètes en à peine dix à vingt ans, tant au niveau des matériels que des logiciels. Cette évolution rapide est un problème majeur pour la transmission des informations. Par précaution, le papier est privilégié comme support. Tous les documents numériques sont imprimés sur du papier permanent, solution à l'épreuve du temps. Ce papier, fabriqué pour la première fois dans les années 1950, est un papier spécial créé à partir de pure cellulose qui peut se conserver longtemps, contrairement au papier ordinaire qui se détériore en quelques dizaines d'années. Ces documents papier sont ensuite envoyés aux Archives nationales afin d'assurer leur conservation à long terme. L'existence d'un centre de stockage doit également être ancrée dans la mémoire collective. L'Andra communique régulièrement sur les centres de stockage qu'elle exploite et entretient cette connaissance auprès des publics alentour. La mémoire d'un tel site doit se partager avec son environnement, ses riverains notamment, de génération en génération.
Focus sur les groupes « mémoires »
Trois groupes de travail – un pour chacun des centres de l’Andra dans la Manche, dans l’Aube et en Meuse/Haute-Marne – ont été créés en 2012 pour réfléchir à la problématique de la transmission de la mémoire des sites de stockage sur le long terme. Constitués de riverains, d’élus locaux, d’acteurs de la vie associative ainsi que d’anciens salariés des centres de stockage, ces groupes poursuivent le même objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire.
Ces groupes proposent et portent diverses initiatives au service de la mémoire : archivage des revues de presse des centres, recueil de témoignages d’anciens salariés et acteurs locaux, participation à l’appel à projet Art et mémoire, création de bande-dessinée, etc.
Le retour d'expérience montre que ces solutions paraissent robustes pour au moins les 500 premières années.
Focus La mémoire des Centres de l’Andra dans la Manche et dans l’Aube
Dans la Manche : Première installation de stockage de déchets radioactifs en France, le Centre de stockage de la Manche (CSM) a été exploité de 1969 à 1994. Il est, depuis sa fermeture, en phase de surveillance. La mémoire détaillée du Centre comporte plus de 10.000 documents. Elle couvre toutes les phases de la vie du Centre. Seule une centaine de ces documents (moins de 1%) est actuellement nécessaire à la surveillance du CSM. Cette mémoire est complétée tous les 5 ans. Un exemplaire est conservé aux Archives nationales depuis 2004.
Dans l’Aube : Pour ce centre de stockage, la mémoire est constituée en continu. Elle est structurée selon le même dispositif que celle du Centre de la Manche. Ainsi, à partir de fichiers numériques, l'Andra imprime sur du papier permanent tous les documents qui doivent être conservés au titre de la mémoire des stockages.
Les informations d'aujourd'hui seront-elles comprises demain ?
Qui peut dire si nos arrières-arrières-arrières...petits enfants comprendront notre langue ? Seront-ils aussi perplexes que nous lorsque nous essayons de lire, par exemple, un manuscrit du Moyen-Age en vieux français ?
Pour faciliter la compréhension de nos documents par nos descendants, le vocabulaire et les tournures de phrase utilisés sont volontairement simples. De plus, les documents qui leur sont transmis sont très largement illustrés pour également en faciliter la compréhension. En outre, on sait que ce sont les documents les plus illustrés qui se conservent en priorité.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Même après leur fermeture, ces centres et leur environnement continueront d'être surveillés par l'Andra pendant quelques centaines d'années. Cette surveillance sera progressivement réduite jusqu'à ce que les centres de stockage puissent être considérés comme sûrs de manière passive.
Et après ?
Pour des durées de quelques siècles, on peut compter sur des moyens de transmission classiques : les archives, le papier, le langage, les symboles, les images... En revanche certains déchets ont des durées de vie bien plus longues, il faut alors tenter d'imaginer au mieux les besoins des générations lointaines et construire au fur et à mesure des solutions robustes face au temps. Cette démarche sur la mémoire à très long terme ne répond pas à un impératif de sûreté, mais à une demande de la société que l'Andra a fait sienne et qui va se construire dans le temps, avec ses homologues à l'étranger mais aussi avec ses riverains.
1 000 ans après...
Si quelques siècles sont suffisants pour que les déchets stockés dans les centres de surface ne présentent plus de risque, les déchets stockés dans les centres souterrains resteront radioactifs sur de bien plus longues périodes de temps. Des réflexions sont menées par l'Andra pour transmettre les informations concernant ces centres aux centaines de générations à venir et conserver cette mémoire sur des millénaires.
Comment s'assurer que le message que l'on souhaite transmettre sera lisible et compréhensible pour nos lointains descendants, quels que soient leurs savoirs et leurs cultures ? En collaboration avec des spécialistes de diverses disciplines (archéologues, anthropologues, historiens, linguistes...), des réflexions sont en cours pour comprendre les ressorts de la mémoire et comment les informations sont parvenues jusqu'à nous à travers les âges.
Le passé comme source d'inspiration
Pour conserver la mémoire des centres de stockage sur des échelles millénaires, il faut envisager d'autres mondes et d'autres sociétés. L'étude du passé est alors indispensable. Du patrimoine hérité de nos lointains ancêtres, il nous reste des peintures rupestres, des parchemins, divers objets, des ouvrages d'art (pyramides, mégalithes...). La conservation de la mémoire pendant une très longue période de temps est donc possible : elle pourrait prendre diverses formes. La principale question reste la préservation du sens du message que l'on souhaite transmettre.
Quelle part avons-nous réussi à conserver ? Quelle compréhension en avons-nous ? Sur quels supports ce patrimoine a-t-il été conservé et comment a-t-il franchi les guerres et les révolutions ? Qui en a été le dépositaire ? Quelle lisibilité en avons-nous aujourd'hui malgré les évolutions de langage ?
Dans certains pays, il a été imaginé, par exemple, de construire au-dessus des centres de stockage souterrains des ouvrages tels que les pyramides. Même s'ils résistent à l'érosion et au vandalisme, encore faut-il que les générations futures en comprennent le sens...
Et si les centres de stockage sont oubliés ?
Etant donné l'incertitude de pouvoir conserver la mémoire des centres de stockage sur de très longues périodes de temps, l'oubli de ces centres doit être possible sans que cela ne représente un risque pour nos descendants. Cette possibilité est donc prise en compte dans la manière dont les centres sont conçus.
Les centres de stockage des déchets radioactifs sont ainsi conçus pour être fermés et rester sûrs sans qu'aucune intervention de la part des générations futures ne soit nécessaire.
Le risque en cas d'oubli vient alors surtout de l'éventualité que quelqu'un s'introduise dans l'un de ces centres sans en connaître le contenu. Quelques siècles sont suffisants pour que les déchets stockés dans les centres construits en surface ne présentent plus de risques du fait de la décroissance naturelle de leur radioactivité. En revanche, les déchets stockés dans les centres souterrains ont des durées de vie beaucoup plus longues. Pour pallier ce risque, ces centres sont donc construits :
- à des profondeurs de plusieurs centaines de mètres qui rendent peu probables une intrusion sans investigations préalables
- dans des régions ne présentant pas de ressources naturelles pour limiter au maximum le risque de creusement
L’Andra évalue cependant par précaution dans son analyse de sûreté les conséquences d’un forage à travers le stockage souterrain pour vérifier que celui-ci assurerait toujours son rôle de confinement.
Chiffres clés mémoire
7 000 000 ans : séparation homme/singe
4 000 000 ans : Lucie
450 000 ans : homme de Tautavel (premier "français" connu)
40 000 ans : homme moderne (homo sapiens-sapiens)
18 000 ans : homme de Lascaux (peintures rupestres)
6 700 ans : homme de Carnac (mégalithes)
5 500 ans : tablette cunéiforme (première écriture)
2 000 ans : les Romains sont en Gaule (ouvrages d'art)
1 500 ans : début du Moyen-Age (manuscrits "non lisibles")
500 ans : fin du Moyen-Age (manuscrits lisibles, imprimerie)
300 ans : règne de Louis XIV (édifices, écrits…)
200 ans : règne de Napoléon Ier (codes, cadastre…)
LE SAVIEZ-VOUS ?
L'Andra étudie actuellement un disque en saphir comme support pour conserver la mémoire des centres de stockage sur de très longues périodes. Comment fonctionne-t-il ? Sur une surface de saphir, synthétique et transparente, du nitrure de titane est déposé pour dessiner des motifs ou des écritures, etc. Un second disque de saphir est appliqué sur le premier et les deux sont assemblés sous vide. il se produit alors une sorte de collage moléculaire et les deux plaques ne font plus qu'une.
L'équivalent de 10 000 feuilles de papier A4, pourrait être inscrit sur ce disque transparent, à peine plus grand qu'un CD, qui peut également résister à une température supérieure à 1600 °C et est insensible aux attaques chimiques et aux rayures. Il pourrait ainsi avoir une durée de vie de près d'un millions d'années !
Les conférences sur le thème de la mémoire :
- Retrouvez les interventions filmées des participants au colloque La mémoire industrielle au service des générations futures organisé par l'Afite et l'Andra
- "Merveilles et patrimoines du Mont Saint Michel au Cotentin" : les vidéos la journée du 29 mai 2006 autour du thème de la mémoire avec des intervenants de l'Andra et des spécialistes de la conservation du patrimoine : archivistes paléographes, conservateurs de musée...
- Présentation du programme mémoire de l'Andra lors du colloque international "Construire la mémoire" à Verdun.
L’art et la mémoire des déchets radioactifs
L'art comme vecteur de mémoire est une des pistes avancées par l'Andra pour dégager des idées réalistes ou utopiques afin de marquer collectivement les esprits à une échelle plurimillénaire. En lien avec le sujet des déchets radioactifs, plusieurs artistes ont déjà réalisé diverses recherches ou expositions en partenariat avec l'Andra. Depuis 2015, un appel à projets est lancé régulièrement auprès d'artistes d'horizons divers.
En avril 2015, l'Andra a lancé un appel à projets artistiques "Imaginer la mémoire des centres de stockage de déchets radioactifs pour les générations futures". Les propositions de projets n'ont pas nécessairement vocation à être ensuite réalisées. Elles peuvent être aussi bien réalistes, qu'utopiques ou critiques.
Chaque proposition nourrit la réflexion que l'Andra porte sur la captation de la mémoire et sa transmission future. Les résultats seront également partagés à l'international dans le cadre du travail mené par l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) afin de mutualiser les réflexions des pays qui ont, comme la France, des installations ou des projets de stockage pour leurs déchets radioactifs.
L'appel à projets 2015
Pour cette première édition, quarante projets artistiques ont été proposés. Un jury composé de salariés de l'Andra et d'experts du domaine artistique a finalement sélectionné huit lauréats. En savoir plus sur les projets retenus.
L'appel à projets 2016
Pour la seconde fois, les artistes de toutes disciplines étaient invités à imaginer la mémoire des sites de stockage de déchets radioactifs pour les générations futures. Parmi 24 projets proposés, deux d'entre eux ont été récompensés par l'Andra et un par les membres des groupes mémoire composés de riverains des sites de l'Andra dans l'Aube, la Manche et la Meuse/Haute-Marne.
Les lauréats 2016 sont :
- 1er prix Andra pour « Forêt », Les Nouveaux Voisins. Les Nouveaux Voisins ont repensé une « Forêt » comme marqueur de surface qui symboliserait la décroissance radioactive des déchets contenus dans les sites de stockage. En savoir plus - Le projet en vidéo
- 2e prix Andra pour « Bonne chance », Bruno Grasser. Bruno Grasser a proposé un objet mémoriel qui se transmettrait de génération en génération. En savoir plus - Le projet en vidéo
- Prix du public pour « Could in/Could out », Alice et David Bertizzolo. Alice et David Bertizzolo ont imaginé une installation artistique qui mêle art et archéologie des paysages. En savoir plus - Le projet en vidéo
L'appel à projets 2018
Comme en 2016, trois prix ont été attribués : les 1er et 2e prix Andra, ainsi que le prix du public.
- 1er prix Andra pour « Termen » de Laure Boby qui a travaillé sur la notion de marqueur de surface en proposant la formation de strates géologiques contemporaines. En savoir plus
- 2e prix Andra pour « Implore / Explore » d’Adrien Chevrier et de Tugba Varol qui ont eux aussi développé l’idée d’un marqueur de surface à l’image d’un monument archéologique gigantesque qui serait par la suite entretenu par les générations suivantes. En savoir plus - Le projet en vidéo
- Prix du public décerné par les groupes « mémoire » pour « Lithonance » de Florian Behejohn qui a imaginé un dispositif d’alerte et d’information pérenne comme un système acoustique monumental en pierre taillée, polie et gravée jouant de l’eau et du vent pour renseigner sur la position d’un site de stockage de déchets radioactifs. En savoir plus - Le projet en vidéo