ITER : en chemin vers la fusion nucléaire
ITER est l’un des projets les plus ambitieux dans le domaine de l’énergie. Cette installation de recherche, en cours de construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône), doit en effet démontrer la faisabilité scientifique et technologique de la fusion nucléaire à grande échelle. Très en amont de sa mise en service, des réflexions sont menées par ITER Organization(1), l’Andra et le CEA sur le développement d’une filière de gestion des déchets radioactifs qui y seront produits.

©ITER Organization

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Tout a commencé en 1985 quand est née l’idée d’une collaboration internationale sur la fusion nucléaire. Cette source d’énergie, inspirée du fonctionnement du Soleil et des étoiles, pourrait permettre de produire autant voire plus d’énergie que la fission nucléaire qui est aujourd’hui mise en œuvre dans les centrales nucléaires. Mais recréer ces conditions sur la Terre représente un véritable défi. Afin de le relever, la Chine, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis se sont engagés en 2007 dans le programme ITER (acronyme d’International Thermonuclear Experimental Reactor en anglais, et signifiant « le chemin » en latin) pour démontrer que la fusion nucléaire peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle afin de produire de l’électricité.
Fission, fusion : quelle différence ?
Aujourd’hui, la majorité des réacteurs nucléaires dans le monde fonctionne sur le principe de la fission : un noyau d’atome lourd et fissile, comme l’uranium 235, est soumis à un flux de neutrons qui le casse en deux atomes plus légers, ce qui libère de l’énergie. La fusion consiste quant à elle à fusionner deux noyaux de l’hydrogène (le deutérium et le tritium), créant ainsi un noyau d’hélium dont la masse totale est inférieure à celle des deux noyaux de départ. La différence de masse correspond à l’énergie libérée.
Le processus peut paraître simple : deux noyaux atomiques légers s’unissent pour en former un seul plus lourd en libérant une énorme quantité d’énergie. Mais pour fusionner, les noyaux doivent se percuter à très haute température, dans un état de la matière que l’on appelle « plasma ». Pour y parvenir, le projet repose sur la construction d’une machine expérimentale de fusion appelée « tokamak » (voir encadré) d’une dimension unique au monde. En effet, si les tokamaks existent depuis les années 1950, l’installation prévue dans le cadre d’ITER contiendra un volume de plasma cinq fois supérieur à celui du plus grand tokamak opérationnel à ce jour, et sera capable de générer des plasmas de longue durée. « Son exploitation permettra d’établir de nouveaux records de puissance de fusion et de tester un grand nombre de technologies dans des conditions qui seront celles d’une centrale à fusion, explique Lionel Boucher, spécialiste de la gestion des déchets radioactifs du programme ITER. Les résultats seront décisifs pour ouvrir la voie aux centrales de fusion nucléaire de demain, source d’une énergie non émettrice de CO2. »
Qu’est-ce qu’un tokamak ?
Le tokamak est une machine expérimentale conçue pour exploiter l’énergie de la fusion. Elle permet de créer et de confiner un plasma de fusion grâce à des champs magnétiques intenses.
Dans l’enceinte d’un tokamak, l’énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide. La centrale de fusion utilisera cette chaleur pour produire de la vapeur, puis, grâce à des turbines et à des alternateurs, de l’électricité.
La quantité d’énergie de fusion qu’un tokamak peut produire dépend du nombre de réactions de fusion qui se produisent en son cœur. Plus l’enceinte est grande, plus le potentiel de production d’énergie de fusion sera important. En effet, trois conditions doivent être remplies pour obtenir des réactions de fusion : une température très élevée (de l’ordre de 150 millions de degrés Celsius), une densité de particules suffisante pour produire le plus grand nombre de collisions possibles, et un temps de confinement de l’énergie suffisamment long pour que les collisions se produisent avec la plus grande vitesse possible.

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L’avancée du projet
Dix-huit ans après le lancement du projet, où en est-on ? « Les principaux bâtiments ont été construits et nous sommes entrés dans la phase d’assemblage des gros composants qui vont être introduits un à un dans le bâtiment tokamak, en particulier les composants de la chambre à vide, c’est-à-dire l’enceinte hermétique dans laquelle doivent se produire les réactions de fusion, résume Lionel Boucher. Il faudra également installer les bobines supraconductrices, des sortes d’aimants très puissants placés autour du tokamak pour maintenir le plasma centré sans qu’il ne touche les parois, et fermer le cryostat, une énorme enceinte en métal qui isole thermiquement les parties très froides du tokamak. »
Après ces préparatifs qui dureront plusieurs années, le lancement du programme expérimental est prévu pour 2034, avec des premières réactions nucléaires utilisant uniquement du deutérium, un isotope stable de l’hydrogène. Cette étape permettra de tester tous les systèmes (chauffage, magnétisme, contrôle du plasma, etc.) sans risque. Les réactions nucléaires deutérium-tritium (isotope radioactif de l’hydrogène) produisant davantage d’énergie seront lancées à l’étape suivante. « Le tritium sera injecté progressivement avec l’objectif d’atteindre une durée de plasma d’au moins 300 secondes et une puissance de 500 mégawatt, soit dix fois plus que la puissance injectée, annonce Lionel Boucher. Au-delà, on entrera dans une seconde étape optionnelle qui visera à atteindre des durées de plasma plus élevées et une puissance plus importante. »

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Anticiper la gestion des futurs déchets radioactifs
Très en amont de la mise en service de l’installation ITER, des réflexions ont été engagées sur la façon de gérer les déchets radioactifs qui y seront produits. Ainsi, dès la phase préalable au choix du site pour le projet ITER, et en support à la candidature de la France pour l’accueil du projet ITER, l’Andra a été impliquée par le CEA (porteur du dossier technique) sur la thématique des déchets radioactifs d’ITER, et en particulier les déchets tritiés. Elle a contribué aux analyses dans le cadre des études menées par le CEA sur le dossier d’orientation pour la gestion des déchets tritiés en lien avec les premiers travaux du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR)(2).
Ensuite, à la création d’ITER, les premiers contacts entre ITER Organization et l’Andra ont été lancés dès 2007 et ont conduit, en 2016, à la signature d’un accord pour réaliser les études nécessaires en matière de gestion des déchets radioactifs. « La fusion nucléaire génère des déchets très faiblement, faiblement ou moyennement radioactifs, mais aucun déchet de haute activité, contrairement à la fission nucléaire, explique Lionel Boucher. Une fois démarrée, l’installation ITER produira plutôt des déchets d’exploitation et de maintenance, majoritairement à vie courte, liés par exemple au remplacement des composants. »
Les équipes d’ITER réalisent actuellement un inventaire de ces déchets et travaillent également avec l’Andra et le CEA sur les études attendues dans le cadre du PNGMDR, notamment pour identifier les filières et définir les scénarios de gestion des déchets contenant du tritium. À l’issue de ces travaux, en 2026, les partenaires devront définir un schéma de gestion industrielle de l’ensemble des déchets radioactifs d’ITER. « Nous menons également des études de compatibilité des déchets avec les installations de l’Andra, conclut Lionel Boucher. Notre collaboration est quotidienne et va s’inscrire dans la durée pour toujours mieux anticiper l’avenir. »
(1) Entité qui pilote le projet ITER.
(2) Document établi par le ministère de la Transition écologique, dressant un état des lieux des filières de gestion à long terme des matières et déchets radioactifs. La prochaine édition couvrira les années 2027-2031.