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L’argile du Callovo-Oxfordien au microscope

Dans le cadre de ses travaux de R&D, l'Andra accorde chaque année 6 à 7 bourses de thèses sur des thématiques scientifiques liées à la gestion des déchets radioactifs. Sébastien Le Crom, 26 ans, fait partie de la promotion 2016 des doctorants de l’Agence. Des expériences du « Petit Chimiste » aux bancs de l’École normale supérieure de Paris, ce spécialiste de la dynamique moléculaire étudie aujourd’hui l’argile au sein de laquelle seront implantées les installations souterraines de Cigéo, et son comportement au contact du stockage. Un projet de recherche… au nanomètre près.

Pouvez-vous nous expliquer votre sujet de thèse ?

Ma thèse concerne le projet Cigéo qui consiste à stocker les déchets les plus radioactifs et à vie longue à 500 mètres de profondeur, dans un milieu argileux, le Callovo-Oxfordien. L’argile – je devrais dire l’argilite pour être précis en terme géologique – a été choisie car elle présente de remarquables propriétés de confinement et de rétention des éléments chimiques. Au cours du temps, dans des centaines voire des centaines de milliers d’années, les colis de déchets radioactifs stockés dans Cigéo se dégraderont. Comme barrière naturelle, l’argile prendra alors le relais pour limiter et ralentir le déplacement des éléments radioactifs relâchés. Pour comprendre comment s’effectuerait ce déplacement, nous avons besoin de connaître l’argile et ses réactions à différentes sollicitations, en particulier au contact de différentes molécules chimiques. De mon côté, je cherche plus précisément à savoir comment réagiront les pores de l’argile située aux alentours immédiats des ouvrages de stockage pendant la période d’exploitation.

 

Pourquoi s’intéresser spécifiquement aux pores de l’argile ?

Forage dans l'argile au Laboratoire souterrain de l'Andra

Parce que c’est dans les pores de l’argile qu’a lieu la rétention des éléments chimiques. L’argile est un matériau solide, mais poreux : elle est constituée de milliers de petits trous connectés entre eux, les pores. À l’état naturel, ces derniers sont totalement remplis d’eau et de sels, des espèces chimiques chargées électriquement. En se déplaçant, les éléments entrent en contact avec la surface de l’argile. Comme celle-ci est chargée négativement, elle agit comme un aimant : les éléments chargés positivement sont fixés dessus pendant très longtemps et se déplacent donc extrêmement lentement dans la roche ; les éléments chargés négativement sont quant à eux repoussés, ce qui limite aussi leur déplacement, compte tenu de la très petite taille des pores de l’argile.

Quand on creuse puis qu’on exploite le stockage, on crée une perturbation de cet environnement argileux au voisinage immédiat des ouvrages. Ainsi, l’eau contenue dans les pores de l’argile située en bordure des galeries va s’évaporer au contact indirect avec l’air de la ventilation et laissera place à de l’air ; on va donc avoir des pores de l’argile remplis d’eau et d’air, un phénomène qu’on appelle « l’insaturation ». Le but de ma thèse est de comprendre comment l’eau et les éléments en solution contenus dans les pores de l’argile vont réagir dans cette condition : comment ils se structurent, comment ils se déplacent et interagissent. Connaître cela est important, car au moment de sa fermeture, le stockage sera en contact avec cette argile « perturbée » chimiquement (avant que celle-ci ne soit rééquilibrée par les argiles plus lointaines, qui, elles, ne sont pas perturbées).  

 

Comment étudiez-vous ces phénomènes microscopiques ?

Je travaille sur de très petites échelles d’espace et de temps. Pour comprendre ce qui se passe à l’échelle microscopique, je fais ce que l’on appelle de la dynamique moléculaire. Il s’agit d’une technique de simulation numérique permettant de modéliser l'évolution d'un système de particules au cours du temps. Les systèmes que je modélise correspondent à un pore d’argile d’environ une dizaine de nanomètres. Je conçois mes modèles numériques en fonction de différents paramètres (pression, température, etc.). Je laisse évoluer les atomes modélisés, puis j’étudie leurs interactions au cours du temps. Concrètement, je passe beaucoup d’heures derrière mon ordinateur, c’est lui qui résout ces algorithmes pour moi… Mes simulations représentent une durée de l’ordre de la dizaine à la centaine de nanoseconde, mais l’objectif est ensuite d’intégrer ces observations dans d’autres types de modèles numériques qui, eux, sont capables de produire des résultats sur des échelles d’espaces et de temps beaucoup plus grandes.

 

Carotte d'argile

Pourquoi ce sujet de recherche ?

L’argile est un matériau fascinant que l’homme utilise depuis des millénaires et qui a une multitude d’applications. C’est un domaine de recherche très vaste. En l’occurrence le sujet m’intéressait autant pour sa dimension très formatrice sur le plan technique – je voulais faire de la simulation – que pour son application concrète : le stockage des déchets radioactifs. C’est gratifiant de travailler sur un sujet de recherche dont on sait qu’il aura des finalités concrètes.

 

Quel est votre parcours ?

J’ai fait un bac scientifique et mes classes préparatoires à Lyon avant d’intégrer l’ENS Paris pour ma licence puis mon Magistère de chimie. Quand je suis rentré en prépa, je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais faire. Je n’ai pas grandi dans un milieu scientifique, mais j’ai toujours aimé comprendre, faire des expériences, vous savez « Le Petit Chimiste », tout ça…  J’ai connu plus tard l’ENS qui est l’école qui prépare à la recherche et à l’enseignement. Et je ne pouvais pas rêver mieux pour poursuivre dans cette voie ! J’ai une formation de chimiste, mais j’aime les chiffres, la statistique, la physique quantique. Aujourd’hui, mon domaine de recherche est à l’interface de la chimie et de la physique. Je simule le comportement de systèmes chimiques mais j’en étudie plutôt les propriétés physiques.

 

Connaissiez-vous l’Andra et le projet Cigéo ?

Schéma de principe du projet Cigéo

Pas du tout. J’ai découvert les activités de l’Andra en candidatant à ce sujet de thèse, il y a trois ans. Depuis j’ai évidemment beaucoup lu et appris sur la gestion des déchets radioactifs et je me suis forgé mon avis sur le projet Cigéo. Cette question a aussi suscité pas mal de discussions dans mon cercle privé. C’est normal et les débats sont toujours intéressants !

 

Qu’est-ce qui vous motive dans la recherche ?

Contrairement à ce qu’on peut croire, la recherche est un travail collaboratif. On n’est jamais tout seul dans ses études et c’est très stimulant d’échanger entre chercheurs. On discute beaucoup, on rencontre des gens issus d’autres domaines d’expertise… C’est vraiment ce que j’aime dans la recherche. Bien sûr, faire une thèse est loin d’être un long fleuve tranquille, les obstacles peuvent être nombreux, mais c’est cela qui fait avancer.

 

Et la suite ?

Je soutiendrai ma thèse en octobre 2019, puis j’aimerais poursuivre par un post-doctorat, à l’étranger, si possible aux États-Unis.