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Meffre/Marchand : « Les centres de stockage des déchets radioactifs sont des lieux insolites »

Les passionnés de photographie ont jusqu’au 10 septembre 2019 pour participer au concours photo « Lieux insolites » initié par l’Andra et Polka Magazine. Près d’une centaine de clichés ont déjà été postées sur la galerie web du concours. Interview à mi-parcours de Romain Meffre et Yves Marchand, les deux photographes parrains de l’événement.

Romain Meffre et Yves Marchand, photographes et parrains du concours « lieux insolites »
© Elena Budnikova

Préserver la mémoire des centres de stockage et la transmettre aux générations futures est une des missions de l’Andra. Dans le cadre de cette démarche, l’Agence, en partenariat avec Polka, a lancé le concours photo « lieux insolites ». L’occasion d’attirer l’attention du grand public sur la question de la conservation des traces que laissera notre société. Dénicher ces lieux qui sont les témoins de notre époque, c’est justement ce qui pousse les parrains du concours, le duo de photographe Romain Meffre et Yves Marchand, aux quatre coins du monde.

 

Pourquoi avez-vous accepté de parrainer ce concours ?

Photo insolite Andra
© Stéphane Lavoué

Yves Marchand : Le sujet des déchets radioactifs ne nous était pas étranger, mais nous ne connaissions pas l’organisme qui les gère. Nous avons découvert l’Andra à travers ce concours. Nous travaillons sur les vestiges du monde industriel et les traces que laisse l’activité humaine sur le paysage. Or, l’Andra réfléchit à comment témoigner, dans des milliers d’années, de la présence des centres de stockage… Ça rejoignait complètement notre démarche photographique.

Romain Meffre : La mémoire est un de nos moteurs, ce n’est pas le seul, mais c’est notre réflexe premier. Dans les années 2000, ce qui nous a poussés à prendre des photos de ruines, c’était vraiment le fait que beaucoup de lieux que nous visitions allaient être démolis. Nous aimions bien l’idée que dans cinquante ans, les gens reverront peut-être nos images en se disant qu’elles témoignent d’une époque passée, d’une situation qui a changé.
Le thème du concours « lieux insolites » faisait aussi écho à notre pratique…

 

Justement, qu’est-ce qu’un « lieu insolite » ?

R. M. : C’est un lieu qu’on n’a pas l’habitude de voir ou de visiter. Un lieu inattendu. Les centres de stockages de l’Andra sont des « lieux insolites ». La gestion des déchets radioactifs n’est pas une activité visible de l’extérieur des centres et peu de gens savent à quoi ils ressemblent…

Y. M. : Un lieu insolite ça peut aussi être la conjugaison de deux environnements différents qui produisent ensemble des situations visuelles que l’on n’envisagerait pas. Trouver ces lieux où se confrontent deux univers, c’est très intéressant et ça peut donner des images étonnantes.

 

Le lieu insolite n’est donc pas nécessairement en ruine et urbain ?

Photo insolite Andra
© Stéphane Lavoué

Y. M. : Non ! C’est vrai que notre travail premier porte sur les ruines contemporaines mais nous avons aussi photographié des lieux encore actifs et hypermodernes. L’idée, c’est d’être transporté ailleurs, d’être surpris visuellement et si possible, émotionnellement. Un lieu insolite peut être très exotique, mais pas forcément. Il peut être banal. La manière dont le photographe se place dans l’environnement peut aussi générer une composition insolite, alors que le lieu en lui-même ne l’est pas… mais ce n’est pas l’exercice le plus facile !

 

Comment dénichez-vous ces lieux insolites que vous photographiez ?

R. M. : C’est beaucoup de recherches en amont. On prend finalement beaucoup plus de temps à trouver des lieux, qu’à prendre les photos sur le terrain. C’est d’ailleurs une recommandation que l’on peut faire : lire, se documenter, mener l’enquête pour trouver des lieux auxquels on n’aurait pas pensé. C’est ce travail d’investigation qui fait le plaisir de la découverte.

 

Le lieu qui vous a le plus marqué ?

Y. M. : Il y en a eu beaucoup ! Dans le cadre de notre projet de photos à Détroit aux États-Unis, nous avons vécu beaucoup de moments très forts. Je pense notamment à la découverte d’un ancien commissariat de police, avec tous les documents d’époque qui traînaient… des Polaroid notamment… les meubles qui n’avaient pas bougé depuis les années 1970. On se serait cru dans un film, c’était très impressionnant !

R. M. : Je pense aussi à notre série sur les salles de spectacles transformées en supermarchés aux États-Unis. Derrière des supermarchés très communs, on a retrouvé des salles de spectacles intactes, qui n’avaient pas bougé depuis une cinquantaine d’années. Cette dimension d’envers du décor était très émouvante. Dans les photos produites, plusieurs strates historiques se conjuguent. C’est cette empreinte de l’évolution de la société dans ses contradictions, ses failles, que nous recherchons…

 

Quel est l’intérêt de participer à ce concours selon vous ?

Photo insolite Andra
© Stéphane Lavoué

Y. M. : L’intérêt c’est de se balader hors des sentiers battus. Finalement, la photographie est un très bon prétexte. C’est une façon ludique d’apprendre sur l’histoire, de visiter les paysages et les territoires d’une autre manière, de pousser des portes, de rencontrer des gens, d’aller voir ce qui se cache derrière une façade ou un terrain auquel on n’a pas accès. C’est un peu le sel du métier de photographe, en tout cas tel que nous l’envisageons. Ce concours offre cette opportunité-là. S’il peut donner aux participants l’impulsion d’aller voir des choses qui sortent de l’ordinaire, c’est déjà super…

R. M. : … et si en plus, ils peuvent nous faire découvrir à nous des lieux que nous n’avons jamais visités, c’est encore mieux (rires) !

 

Un conseil à donner aux participants ?

Y. M. : Être méticuleux dans sa recherche de lieu, ne pas hésiter à aller voir des gens, à taper aux portes – ce que ne font pas toujours les photographes – demander des autorisations… C’est une organisation plus compliquée, mais ça peut faire toute la différence.

 

Avez-vous déjà regardé les photos qui ont été postées depuis le lancement du concours ?

R. M. : Oui et on a vu des choses intéressantes. Il y a pas mal de lieux photographiés que nous connaissons déjà. Les participants ont tendance à rester dans la thématique des ruines. Etant connaisseurs, on est forcément moins surpris par ça, mais il y a de belles choses, c’est prometteur !

 

 

Romain Meffre et Yves Marchand

Ces deux jeunes photographes français se sont réunis autour de leur passion commune, les ruines contemporaines, en 2002. Ils débutent leur collaboration en visitant les décombres parisiens, puis explorent par la suite les monuments belges, espagnols, allemands, américains au gré de leurs voyages et de leurs découvertes. Ils prouvent à chaque projet leur persévérance et leur talent à explorer des endroits abandonnés, désertés par les populations.

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Et pour en savoir plus sur la démarche d’ouverture et de dialogue de l’Andra :