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Spadassin : un concentré de technologie pour intervenir en environnement radioactif

Si de nombreuses mesures sont prévues pour éviter les situations accidentelles en zone potentiellement radioactive, il est néanmoins indispensable d’envisager que cela puisse se produire et permettre aux interventions de se dérouler de la manière la plus sécurisée possible. Pour cela, l’Andra et ses partenaires mettent au point un dispositif spécifique innovant, Spadassin. Objectif : permettre au personnel d’intervention d’être maître de ses mouvements. 

Les interventions dans des environnements radioactifs, surtout en cas d’accident, doivent être limitées autant que de possible. Dans ce cadre, les opérateurs sont souvent équipés de plusieurs appareils de détection de la radioactivité qu’ils doivent tenir à la main, ce qui peut rendre complexes leurs interventions. Afin de leur faciliter la tâche et leur faire gagner du temps, le projet Spadassin (Système PortAble D’ASSistance aux Interventions) propose un dispositif innovant qui a été sélectionné dans le cadre de l'appel à projets générique de l'Agence nationale de la recherche (ANR).

 

Un casque mains libres

Jusqu’alors, les intervenants (notamment les sapeurs-pompiers des équipes spécialisées d’intervention radiologique et nucléaire) tiennent d’une main une sonde, de l’autre un écran afin de connaître le niveau de radioactivité et « jonglent » avec leur talkie-walkie pour communiquer les données.

Spadassin intègre au casque de ces opérateurs les capteurs qui habituellement les encombrent : capteurs miniaturisés Geiger pour mesurer le niveau de radioactivité ; gamma caméra pour visualiser les rayonnements gamma émis par les éléments radioactifs. Le tout avec une forte amplitude de mesures afin de localiser un objet égaré ou de s’assurer de la dangerosité d’un espace… autant de données utiles pour intervenir au plus vite. 

L’outil Spadassin comporte aussi des lunettes spéciales, avec un affichage intégré, permettant à la fois de donner des alertes selon le niveau de radioactivité et de localiser la zone de provenance de celle-ci. L’opérateur peut ainsi à tout moment, en tournant simplement la tête, savoir s’il est ou pas en danger, et localiser d’où vient la source de radioactivité. En outre, le casque est doté d’un dispositif de communication permettant à plusieurs intervenants d’échanger directement entre eux, mais aussi de converser avec la « base arrière » (le centre de crise dans une installation nucléaire ou le poste de commandement avancé pour les sapeurs-pompiers). Une possibilité offerte même en l’absence de 4G ou de 5G, mais aussi en milieu souterrain, comme ce sera le cas dans le projet de stockage géologique pour les déchets les plus radioactifs, Cigéo.

« Au-delà de cet usage en cas de crise, pour tous les opérateurs en zone ʺsensibleʺ, le dispositif permet de libérer les mouvements et de communiquer plus facilement », insiste François Laumann, ingénieur sécurité qui suit le projet pour l’Andra. Ce qui signifie que le casque Spadassin pourra être utile dans toutes les zones sensibles nucléaires. « Ce dispositif permet d’être plus efficient et de renforcer la sécurité des intervenants. »

 

Évoluer et tester en réalité virtuelle

Pour compléter le dispositif, Spadassin peut aussi s’expérimenter à travers la réalité virtuelle et permettre d’optimiser les interventions lors d’exercices simulés. L’Andra met ainsi à disposition sa maquette en trois dimensions (3D) du projet Cigéo qui a été partiellement virtualisé dans le cadre de ce projet. Elle permettra aux opérateurs et aux intervenants extérieurs de se familiariser avec le site, avant même qu’il soit en fonctionnement. 

Le grand avantage de la maquette de réalité virtuelle est de pouvoir intervenir comme dans un serious game avec plusieurs personnes en même temps. L’objectif : élaborer des scénarios d’incidents ou d’accidents éventuels, tels ceux qui sont exigés et analysés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour la sûreté du stockage, et tester d’éventuelles interventions. Ces scénarios sont repris lors de formations pendant lesquelles les personnels peuvent être autant actifs, pour tester leurs réflexes, que passifs en tant qu’observateurs. La réalité virtuelle permet par exemple de monter un scénario avec un colis de déchet dégradé, voire endommagé, et de suivre le déroulé de l’intervention. « Si un tel événement se produit, les intervenants doivent être le mieux préparés possible et avoir les réflexes appropriés, insiste François Laumann. Au-delà de Cigéo, cette technologie peut d’ailleurs s’adresser à l’ensemble des exploitants nucléaires, dans le cadre des interventions notamment en radioprotection, mais aussi aux sapeurs-pompiers spécialistes de tout environnement souterrain. »

Mais avant cela, les partenaires du projet doivent encore tester le dispositif à l’automne prochain, lors de mises en situation et d’exercices de terrain, et en particulier sur les installations de stockage de l’Andra.

Maquette numérique du projet Cigéo
Extrait de la virtualisation de la maquette numérique

Spadassin, un projet partenarial

Le projet innovant Spadassin et le démonstrateur de réalité virtuelle sont conçus et mis en œuvre dans une démarche partenariale avec : la PME TL&A, pour la coordination,  mais également responsable de l’intégration des capteurs, de l’évaluation des dispositifs et en charge de la réalisation des interfaces homme-machine ; l’École centrale Lyon, pour le logiciel de « rétro-diffusion » ; le CEA-LIST, pour la partie détection ; le service départemental d’incendie et de secours de Savoie (SDIS 73), pour l’aspect montage d’exercices et utilisation des sources radioactives en espace libre ; et enfin l’Andra, pour la gestion de la maquette de réalité virtuelle (développée par la société Crisis, spécialisée dans la gestion de crise et la formation), mais aussi la communication full duplex.

Trois questions au Colonel des sapeurs-pompiers Denis Giordan

Directeur départemental adjoint, conseiller technique risques radiologiques et nucléaires du SDIS de Savoie

Comment se déroulent les interventions en milieu radioactif ?

Nous disposons de 45 cellules mobiles d’intervention radiologique (CMIR) réparties en France et rattachées au service d’incendie et de secours. Elles se composent de sept pompiers qui, en plus de leurs compétences habituelles, ont une formation dédiée aux risques technologiques, plus particulièrement radioactifs et nucléaires.

Les membres de la CMIR disposent d’une expérience des situations accidentelles, avec une connaissance des risques radiologiques et nucléaires. L’intervention se déroule en quatre temps. D’abord, les réactions immédiates ou « réflexes » (gérer les menaces immédiates, évacuer les personnes directement menacées ou victimes). Ensuite, une reconnaissance pour comprendre ce qui se passe, puis caractériser la situation et prendre des décisions opérationnelles. Enfin, donner les ordres et organiser les opérations pour se déployer. Et chaque instant compte.

Qu’apporte le dispositif du projet Spadassin ?

Sur un site nucléarisé (qu’il s’agisse de transports ou de bâtiments), l’intervention se fait avec l’appui d’une équipe CMIR, qui réalise, avec des capteurs classiques, des mesures de débit de doses, doses et taux de comptage(1) afin de rechercher la contamination. Il faut donc entreprendre une reconnaissance du site sur tous les points pour connaître précisément la situation. On prend en compte les victimes, les risques présents et on analyse afin de « superposer » l’aspect radioactif à l’analyse d’une situation opérationnelle classique. Par rapport aux capteurs utilisés jusqu’à aujourd’hui pour caractériser une situation accidentelle sur un périmètre de quelque 50 m, il faut une dizaine de minutes pour équiper les pompiers et huit minutes pour réaliser les premiers relevés. Spadassin, avec son casque connecté doit permettre d’être en capacité de le faire en moitié moins de temps. 

Quels retours d’expérience pour l’heure ?

Spadassin permet d’avoir de multiples capteurs sur une seule personne avec un report visuel et un envoi en temps réel à la base arrière, pour informer ou demander de l’aide, soit d’un officier senior, soit d’un scientifique ou d’un spécialiste très pointu de l’événement. La gamma caméra donne une vue d’ensemble optimale et permet de voir à travers des murs. Comme les équipes opèrent par binômes sur le site, cela redonne quatre mains disponibles, pour ouvrir les portes par exemple, au lieu de porter la lampe, le débit-mètre, le capteur alpha, la caméra infrarouge, etc. Avec Spadassin, on peut avoir tout sur un seul et même homme, renforçant ainsi la sécurité du binôme. 
Le système fonctionne de mieux en mieux. Il y a deux mois, des essais ont été effectués dans un vieux fort de la ligne Maginot (un site confiné) avec des sources radioactives(2) placées dans les couloirs, des pièces sombres… afin de tester l’efficacité de la transmission à courte distance (quelques mètres). Bien sûr, pour l’heure, nous travaillons avec des prototypes, mais à la fin de l’été, nous testerons l’outil intégré tout-en-un dans le casque, avec le retour d’informations, ce qui fera encore gagner du temps. 

(1) Nombre de désintégrations radioactives détectées par unité de temps.
(2)Une source radioactive est une quantité connue d'un radionucléide qui émet un rayonnement ionisant.
 

 

 

Spadassin est un projet PRCE soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), convention n°ANR-18-CE39-0016 coordinateur : L. WALLE /TL&A.