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Une gestion pluraliste et collective des déchets radioactifs issus du démantèlement

Comme toute installation industrielle, une installation nucléaire a une durée de fonctionnement limitée. Une fois en fin de vie, elle est démantelée. L’arrêt des installations nucléaires françaises conduira ainsi demain à de nombreux démantèlements, qui généreront des volumes significatifs de déchets radioactifs. Face à cette situation exceptionnelle, il convient dès aujourd’hui de faire évoluer la logistique, les modes de gestion et in fi ne les choix de société qui devront être faits pour gérer ces déchets de façon adaptée et proportionnée.

Plus de 60 % des déchets radioactifs produits d’ici à 2030, soit 700 000 m3, seront issus du démantèlement d’installations nucléaires en fin de vie, c’est-à-dire de leur déconstruction pierre par pierre, tuyau par tuyau. Parmi eux, les trois quarts seront des déchets de très faible activité (TFA).

« La gestion des déchets issus du démantèlement relève d’enjeux industriels très différents de ceux liés au stockage des déchets de haute activité. Le démantèlement suppose en effet de gérer des volumes énormes de déchets, avec des niveaux de radioactivité très faibles, voire inférieurs à la radioactivité naturelle », explique Patrick Landais, directeur du développement et de l’innovation à l’Andra.

 

La question du « seuil de libération »

La quantité importante de déchets TFA s’explique par l’approche française en matière de gestion des déchets radioactifs : la réglementation ne prévoit pas de « seuil de libération », c’est-à-dire de niveau de radioactivité au-dessous duquel un matériau issu d’une zone nucléaire peut être géré et éliminé comme un déchet conventionnel. Dès lors qu’un déchet est produit dans une telle zone, il est considéré comme radioactif et doit être pris en charge de manière spécifique, même si des contrôles radiologiques ne permettent pas de déceler de radioactivité.

Actuellement, c’est au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de l’Andra, dans l’Aube, que sont stockés les déchets TFA.

 

Trouver les solutions adaptées

Selon l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs, publié par l’Andra en juillet 2015, le démantèlement des installations nucléaires va engendrer un volume croissant de déchets TFA dans les années à venir. Le Cires atteindra ainsi sa capacité maximale de stockage (650 000 m3) en 2025- 2030. « Nous faisons d’importants efforts pour optimiser les capacités de stockage de nos centres existants et nous réfléchissons également à la création d’un nouveau centre, mais un site de stockage doit être considéré comme une ressource rare car sa mise en œuvre et son remplacement sont complexes. D’où l’importance de chercher à réduire les volumes à y stocker », précise Patrick Landais.

La problématique des déchets TFA issus du démantèlement conduit à s’interroger sur la gestion globale de ces déchets : alors que 30 à 50 % d’entre eux ont un niveau de radioactivité nul ou extrêmement faible et ne présentent donc aucun enjeu de radioprotection, leur stockage au Cires n’est-il pas disproportionné au regard du risque réel ? Est-il toujours pertinent de débarrasser les sites en démantèlement de la moindre trace radioactive, induisant ainsi le déplacement et le transport de quantités importantes de gravats ?

Les questions sont multiples, et si les avis d’experts et d’ingénieurs sont indispensables, cette approche n’est aujourd’hui plus suffisante au regard des enjeux sociétaux posés par la gestion des déchets de démantèlement ; l’éclairage de la société est indispensable pour enrichir la réflexion. D’ores et déjà, l’Andra et l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) réfléchissent à la façon d’associer un large public pour débattre de ce sujet de société.

 

Un groupe de travail pluraliste

Face à ce challenge important, Patrick Landais insiste sur le « besoin d’une intelligence collective pour trouver des solutions adaptées ». Afin de réfléchir à ces solutions, des outils sont en place, comme le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), un document stratégique issu d’une prescription législative, corédigé tous les trois ans par un groupe de travail pluraliste, et dont la dernière édition (2016-2018) fait un focus important sur les déchets radioactifs issus du démantèlement.

Piloté par le ministère chargé de l’Énergie et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce groupe de travail est composé de l’Andra, d’exploitants nucléaires producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA notamment), d’associations de protection de l’environnement, des administrations et des évaluateurs. Ce document « dresse un bilan régulier de la politique de gestion des déchets radioactifs, dont ceux issus du démantèlement, il évalue les éventuels nouveaux besoins pour assurer la gestion des déchets, et il détermine les objectifs, qu’il s’agisse d’une date de mise en service de centre ou d’un avis sur la pertinence du recyclage des déchets métalliques », résume Louis-Marie Gard, qui assure le suivi de ce dossier pour le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. « Le PNGMDR donne une vision globale et stratégique ; la gestion des déchets de démantèle ment se fait ensuite au cas par cas dans le cadre défini par ce dernier et par la réglementation. L’ASN instruit alors les dossiers de démantèlement de chaque installation », complète Dorothée Conte, chef du bureau du démantèlement et de l’assainissement de l’ASN.

 

Une nécessaire réflexion en amont

« Certains déchets TFA n’étant que peu voire pas radioactifs, le stockage n’est pas nécessairement la solution la plus adaptée. D’autres alternatives pourraient permettre une utilisation des ressources mieux proportionnée vis-à-vis du risque que présentent réellement ces déchets », ajoute le directeur du développement et de l’innovation de l’Andra.

Parmi les pistes complémentaires et/ou alternatives au stockage, certaines sont déjà mises en œuvre comme la réduction des volumes grâce à des techniques de compactage, d’incinération ou de fusion. D’autres pistes restent à développer telles que le stockage sur les sites en démantèlement ou encore le recyclage des matériaux dont l’activité est extrêmement faible voire inexistante. « Les métaux et gravats issus du démantèlement pourraient être réutilisés et/ou recyclés. Ils deviendraient alors une matière première pour l’industrie nucléaire, voire, éventuellement, pour une autre industrie, en prenant des précautions particulières et en mettant en place la traçabilité adaptée », précise Patrick Landais.

« C’est en réfléchissant en amont à la nature, au tri et au traitement que l’on pourra concevoir une politique de gestion plus efficace, mieux acceptée et économiquement efficiente », conclut-il.