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Héloïse Verron et la cocotte-minute temporelle

Dans le cadre de ses travaux de R&D, l'Andra accorde chaque année 6 à 7 bourses de thèses sur des thématiques scientifiques liés à la gestion des déchets radioactifs. Héloïse Verron, 25 ans, fait partie des doctorants de l’Agence. Cette jeune géologue était une enfant à « pourquoi ? ». Aujourd’hui, elle cherche à savoir comment l’argile, l’acier et le béton peuvent cohabiter sur le long terme au sein d’un stockage géologique de déchets radioactifs comme Cigéo. Nous lui avons demandé de nous en dire plus.

Héloïse Verron dans son laboratoire

Quel a été votre parcours jusqu’à l’Andra ?

J’ai suivi mon cursus universitaire à l’université de Poitiers. Après une licence en géologie, j’ai obtenu un master spécialisé sur les matériaux argileux. J’ai effectué de nombreux stages en recherche très fondamentale. Pour ma thèse, je voulais m’essayer à quelque chose de plus appliqué… J’avais besoin de me sentir utile. J’ai postulé à l’université de Lorraine pour le laboratoire GéoRessources qui proposait un sujet en lien avec mon objet d’étude, l’argile, et le stockage des déchets radioactifs. En dehors de Cigéo(1), dont j’avais déjà entendu parler, je ne connaissais pas grand-chose aux déchets radioactifs, mais j’y voyais un sujet on ne peut plus concret et passionnant ! Et j’ai été retenue.

 

Carotte d'argile

En quoi votre expertise intéresse-t-elle l’Agence ?

Cigeo sera construit dans une couche géologique argileuse très profonde et ancienne, le Callovo-Oxfordien. Connaître et comprendre l’argile est un prérequis indispensable. Or, mon master portait sur cette roche et l’ensemble des techniques de caractérisation nécessaires à son étude. L’argile possède de nombreuses qualités dont celle de pouvoir retenir l’eau et les éléments chimiques. Grâce à ses propriétés de rétention, et sa très faible perméabilité, elle constitue une barrière naturelle. C’est l’une des raisons pour lesquelles les scientifiques ont choisi une couche géologique argileuse pour l’implantation de Cigéo.

 

En quoi consistent vos travaux précisément ?

Mon travail porte sur les interactions entre l’argile, l’acier et le béton, dans le cadre de Cigéo. Le principe de conception de ce stockage profond est de mettre les déchets vitrifiés(2) dans des conteneurs en acier, eux-mêmes insérés dans des microtunnels creusés dans la roche et revêtus d’un chemisage, véritable revêtement, également en acier. On sait que l’acier va se corroder progressivement au contact de la roche et, bien qu’à terme il finira par rouiller, l’objectif est de s’assurer que la corrosion restera limitée pendant au moins 100 ans afin de garantir une déformation acceptable du chemisage des microtunnels (période d’exploitation de Cigéo, pendant laquelle notamment, les colis doivent pouvoir être retirés si besoin, NDLR). Pour cela, il est envisagé de couler du béton entre l’acier du chemisage et la roche, pour favoriser de faibles vitesses de corrosion. Mais pas n’importe quel béton : l’Andra a développé et breveté un coulis cimento-bentonitique (béton très liquide) adapté. Mon objectif est de m’assurer que les trois ingrédients que sont l’argile, le béton et l’acier ne se mélangent pas, ou en tout cas le moins possible, mais aussi de vérifier que le béton fera bien son office, quelles que soient les conditions auxquelles on l’expose.

 

Comment procédez-vous ?

Je fais de la cuisine dans mon laboratoire ! Plus sérieusement, j’utilise ce que j’appelle une « cocotte-minute temporelle », un outil, l’autoclave, grâce auquel je peux reproduire ce qu’il se passerait en 100 ans dans la réalité, en 3 mois dans mon laboratoire. L’autoclave me permet de mélanger l’argile, le béton et l’acier, réduits en poudre, et de les porter en température pendant trois mois. Au fur et à mesure de mes expériences, je change les quantités de chaque ingrédient, je ne mets pas toujours tous les ingrédients, je change leur conditionnement : en poudre, en morceaux, en plaques…, et la composition de l’eau que j’ajoute à ma « recette ». Bref, je teste toutes les combinaisons possibles et qui correspondent aux différents paramètres du stockage.

 

« Je peux reproduire ce qu’il se passerait en 100 ans dans la réalité, en 3 mois dans mon laboratoire. »

À quoi ressemblent vos journées de travail ?

Je n’ai pas de journée type. Je peux passer mon temps au laboratoire à faire et surveiller mes expériences, ou derrière mon ordinateur, à caractériser et à modéliser les résultats obtenus. Mon travail s’inscrit dans la continuité de plusieurs thèses déjà menées et qui ont permis d’établir un programme expérimental. Je respecte donc ce programme d’expériences, mais les questions que peut soulever une expérience, en appellent d’autres… Chaque jour renferme ainsi son lot de surprises et de questionnements ! C’est le propre du travail de recherche…

 

Et après ?

J’espère d’abord pouvoir apporter ma pierre au vaste édifice qu’est le projet Cigéo, et pouvoir me dire, une fois ma thèse terminée, qu’elle aura contribué à une gestion efficiente et un stockage sûr des déchets les plus radioactifs. D’un point de vue plus personnel, ce projet de recherche m’a ouvert les portes des laboratoires… et c’est déjà une chance énorme, puisque je me destine à une carrière d’enseignant-chercheur. Ensuite, les compétences acquises pour cette thèse pourront déboucher sur d’autres travaux ou d’autres domaines de recherche comme l’étude des origines de la vie, des météorites ou l’altération martienne… autant de sujets qui me fascinent.

 

Pourquoi la recherche, et pourquoi la géologie ?

J’étais une enfant à « pourquoi ? ». Je voulais tout comprendre : le monde qui nous entoure, d’où l’on vient… Une curiosité qui m’a assez naturellement menée à la science et à la recherche. Au départ, je voulais faire de la paléontologie. Et puis, en cours de route j’ai découvert la géologie. Étudier la terre sur laquelle on marche est la base de tout… Il ne m’en fallait pas plus !

 

Et en dehors de votre thèse ?

J’essaye de l’oublier (rires). Ce qui n’est pas toujours évident, car on ne vient pas à la recherche par hasard, c’est une passion qui dépasse de loin le cadre professionnel. Je peux vous assurer que depuis 2016 tous mes proches sont sensibilisés à la problématique des déchets radioactifs ! J’ai eu un professeur qui disait qu’être chercheur en géologie, c’est être un touriste professionnel… Aujourd’hui je le confirme : quand je vais à la plage, mon activité préférée, c’est d’ausculter les cailloux…

 

 

(1)Centre industriel de stockage géologique profond pour les déchets radioactifs les plus dangereux
(2)Déchets incorporés à une pâte de verre en fusion puis coulés dans des colis en inox

 

 

Appel à projets de thèse : l’Andra recherche ses futurs doctorants

Chaque année, l’Andra lance un appel à projets de thèses auprès des laboratoires de recherche afin d’accorder des bourses d’étude à des doctorants scientifiques. Des propositions de sujets de thèses sur des thèmes généraux préalablement définis par l’Andra sont sélectionnées. Les choix sont effectués au regard de la pertinence, de la nouveauté, de l’originalité des sujets, de la robustesse scientifique de la démarche de recherche proposée, et des candidats.