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La réversibilité : machine arrière ou changement de braquet ?

La réversibilité est une notion retorse, qui laisse souvent croire qu’il ne s’agit que de faire machine arrière. Avec la troisième loi sur le stockage des déchets radioactifs – également appelée loi sur la réversibilité Cigéo et votée le 11 juillet 2016 –, c’est l’avenir qu’il s’agit d’aménager. Nos descendants auront, légalement, la plus grande latitude possible pour réviser, modifier ou transformer les processus engagés cinquante ans voire un siècle plus tôt dans le secteur concerné. Liée à l’origine au défi environnemental, la réversibilité pourrait bien devenir une norme dans tous les domaines.

Ascenseur du Laboratoire souterrain de l'Andra
© P. Demail/Andra

« Gouverner, c’est prévoir », dit la maxime. C’est aussi admettre que l’avenir est fait d’imprévisible, et donc d’adaptation nécessaire. C’est bien la lettre – et l’esprit – de la loi sur la réversibilité Cigéo, dont le principe correspond à « la capacité à offrir à la génération suivante des choix sur la gestion à long terme des déchets radioactifs, incluant notamment le scellement d’ouvrages de stockage ou la récupération de colis de déchets ; cette capacité est notamment assurée par un développement progressif et flexible du stockage »(1). Les générations futures se voient donc reconnaître le droit de ne pas être éternellement dépendantes des décisions des précédentes. La loi leur donne en conséquence la possibilité « soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ».

Sur le papier, la réversibilité crée parfois des confusions. La notion se retrouve dans la loi sur la Nouvelle organisation des marchés de l’électricité (NOME) du 7 décembre 2010. Au nom de l’ouverture à la concurrence, celle-ci permet aux particuliers, soumis à des tarifs réglementés, de passer d’EDF à un fournisseur alternatif sans contrepartie, et de revenir – toujours sans contrepartie – à leur opérateur d’origine si l’offre n’était pas satisfaisante. D’où l’idée trop courue que le réversible équivaudrait en général à un droit de retour en arrière. Pas si simple.

 

 

Démonstrateur pour la récupérabilité/réversibilité des colis de déchets de haute activté (HA)
© P. Demail/Andra

Seuil de tolérance

La main humaine peut-elle annuler son geste et restaurer l’état initial ? En matière d’environnement, la chose ne paraît pas toujours possible. Pourtant, les ressources s’épuisent et la faune et la flore peinent à se renouveler. L’enjeu consiste donc à limiter les risques, en se fixant des seuils de tolérance à ne pas dépasser, sans quoi le dommage deviendrait irréparable. Et irréversible. C’est ainsi que sont apparues, dans le sillage de la Conférence de Stockholm de 1972 sur l’environnement, les premières jurisprudences internationales formalisant la notion de réversibilité.

La toute première, datant de 1980 et dédiée à la sauvegarde de la flore et de la faune marine en Antarctique, enjoint les Etats signataires de « minimiser les risques de modifications de l’écosystème marin qui ne seraient pas potentiellement réversibles en deux ou trois décennies ». Deux ans plus tard et selon la même logique, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux Etats pratiquant la pêche à haut rendement de « prendre les mesures appropriées pour éviter que le maintien des ressources biologiques ne soit compromis par une surexploitation ». Exploiter, oui. Capturer, soit. Mais en proportion de la capacité pour le stock naturel de se reconstituer. Ou au moins de se reformer.

 

Black Swans, la réversibilité selon Anne Démians
© Architectures Anne Démians

Le modèle de l'élastique

Les lois de la science l’ont montré depuis longtemps. Même revenu à sa posture originelle, un corps élastique a subi des variations infinitésimales lorsqu’il était en mouvement. Si le retour en arrière à l’identique est donc impossible – et pas forcément souhaitable -, il est, en revanche, permis de jouer sur la flexibilité d’une structure pour l’adapter selon la demande. C’est tout le sens de la « réversibilité » telle que l’interprètent certains architectes, en mettant au point des bâtiments réversibles autrement dit transformables, un magasin pouvant être reconverti en bureau, lui-même susceptible de devenir un jour un lot d’appartements.

Cette élasticité est au principe du projet Black Swans de l’architecte Anne Demians, qui a inauguré la tendance avec les trois tours de la presqu’île Malraux à Strasbourg. Dès leur conception, les édifices ont été aménagés selon une matrice évolutive permettant de renouveler leur capacité fonctionnelle en fonction des besoins, de la colocation au co-working en passant par le télétravail. Ces nouvelles perspectives se situent également au cœur de la réflexion sur la « ville résiliente », où des infrastructures conservées changeraient radicalement de vocation. A l’image des jardins partagés qui peupleraient peut-être à terme, les friches de la ceinture ferroviaire parisienne. Du réversible, du reconvertible ou du renversable. Le choix des mots se décline autour d’un seul impératif, en filigrane de la loi sur la réversibilité Cigéo : laisser toujours ouverte la possibilité de l’ajustement.

 

(1)Délibération du conseil d’administration de l’Andra du 5 mai 2014 relative aux suites à donner au débat public sur le projet Cigéo, Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (2014), Journal Officiel, n°108, p 7851-7854

 

Usbek & Rica est le média qui explore le futur. Leurs jeunes journalistes y abordent des sujets qui engagent les sociétés d'aujourd'hui vis-à-vis de celles de demain. Avec leur plume, ils vous proposent un autre point de vue sur la question des déchets radioactifs.